Pour un Nouvel An lunaire réussi dans le 13e à Paris, les cartons venus d’Asie arrivent par milliers pendant que d’autres répètent pour le défilé.
Dans la fraicheur d’un parking souterrain en hiver, Vincent Duc rejoint les membres de son association : Paris Lion Sport. Depuis plus de dix ans, ce jeune eurasien pratique les danses du lion et du dragon. François Ung, d’origine cantonaise et de cinq ans son aîné, lui a transmis cet art, aussi exigeant qu’incontournable lors des festivités du Nouvel An lunaire.
Il est 14 heures 30 et le premier sous-sol du parking du 9 avenue de Choisy vient d’être envahi par un groupe de jeunes drôlement accoutrés. Certains portent des ceintures jaunes nouées par-dessus leurs T-shirts, d’autres répètent une chorégraphie, les genoux pliés, avec une tête de lion en papier et fourrure par-dessus leurs épaules. Sur les consignes de Vincent Duc, la quinzaine de participants répète les enchainements, pour une coordination parfaite le jour J. « En deux semaines, nous pouvons réaliser entre quarante et cinquante représentations », explique François Ung, qui chapeaute toute l’équipe. Lui a appris les danses du lion et du dragon à 9 ans. Son sifu (« maître ») l’entraînait dans son jardin, à Sevran. « J’apprenais avec le bâton et tout », rigole-t-il aujourd’hui, en conservant un respect total pour son enseignant.
« En deux semaines, nous pouvons réaliser entre quarante et cinquante représentations »
S’il reconnait ne pas avoir les infrastructures nécessaires pour demander à ses élèves de régler une cotisation annuelle, il peut compter sur les représentations effectuées tout au long de l’année (Nouvel An, mariages, événements dans des hôtels prestigieux, …) pour acheter son matériel en Malaisie, où il emmène chaque année plusieurs élèves.
Sous le bitume, les lions
Sur le béton du sous-terrain, les chevilles doivent apprendre à amortir les chocs. Les binômes ne sont pas encore tous constitués. Certains s’apprivoisent très vite et peuvent enchaîner une dizaine de sauts, d’autres se cherchent encore. Filles et garçons sont mélangés, avec une moyenne d’âge qui ne dépasse pas les 18 ans. « Plus ils sont jeunes, mieux c’est. Après, ils commencent à avoir des petites copines, le boulot, les études et ils ne viennent plus aux entraînements », raconte François Ung. Si quelques parents peuvent avoir un a priori négatif sur ce sport, « certains associent la danse du lion aux milieux mafieux », d’autres sont très fiers de voir leurs enfants défiler dans le quartier. Pour l’association Paris Lion Sport, les représentations commandées par les commerces et restaurants sont plus intéressantes que la parade.
« Il y a de vrais enchaînements, une chorégraphie millimétrée : la mise en place, le salut, les lions entrent, chassent le mauvais esprit. Il y a aussi le parcours clémentine-salade, avec les bancs ou les poteaux ». François Ung et Vincent Duc ne se lassent pas, même après toutes ces années de pratique. L’excitation les ramène chaque fois sur le bitume. Le premier confie même : « À chaque veille de Nouvel An, je n’arrive pas à dormir ! »
Equipement de Paris Lion Sport, avant le Nouvel An lunaire.
Il est 17 heures et l’entrainement s’intensifie. Chaque binôme passe tour à tour, les « têtes » (ceux qui porteront la tête du lion) doivent montrer à leur coach ce qu’elles savent faire. Les répétitions se multiplieront à l’approche du Nouvel An, pour être parfaitement prêts et faire rêver les 200 000 personnes qui assistent chaque année au défilé.
En ordre de marche des semaines avant le jour J
Du côté des commerçants et restaurants du « quartier chinois » parisien, le Nouvel An se prépare également à l’avance. Tang Frères, par exemple, profite de chaque fin de Nouvel An pour faire le bilan et préparer celui de l’année suivante. « Nous recevons le listing des produits dès le Nouvel An passé, nous confient les directeurs du magasin de l’avenue d’Ivry. En fonction de cela, les acheteurs vont commander de nouvelles références pour l’année suivante, mais certains produits sont immuables, comme les graines de lotus, le gingembre confit, les lamelles de coco ou encore les noix de ginkgo. »
Dans l'entrepôt de Tang Frères, à Vitry-sur-Seine,
avant le Nouvel An lunaire.
La marchandise arrive en magasin six semaines avant les célébrations, « et ce n’est que la partie visible de l’iceberg », ajoute l’un des responsables de ce point de vente. L’agencement du magasin prend beaucoup de temps, certaines équipes sont multipliées, d’autres allongent leurs heures de travail pour que les festivités se passent le mieux possible et que les cadences puissent répondre aux besoins des clients.
« Certains produits sont immuables, comme les graines de lotus, le gingembre confit, les lamelles de coco ou encore les noix de ginkgo. »
Au siège de l’entreprise, les premiers containers arrivent deux mois avant le Nouvel An. La responsable de l’entrepôt nous fait faire le tour de ses frigos avant de compter le nombre d’allers-retours que réalisent les camions de livraison : « Les semaines qui précédent le Jour de l’an, une vingtaine de camions livre nos magasins, et fait parfois deux à trois tournées par jour ». Le premier arrivage, début décembre, ravira les dents sucrées : gingembre et courge sucrés viendront faire concurrence aux boîtes de gâteaux commandées spécialement pour l’occasion. Chaque année, le directeur des achats (l’un des plus anciens employés de Tang Frères, avec quarante années d’ancienneté dans l’entreprise) commande une centaine de références qui ne seront commercialisées que pendant le Nouvel An. Mais comment fait-il pour savoir à l’avance ce qui plaira à ses clients ? « L’expérience », s’amuse-t-il, un sourire aux lèvres.
Dans l'entrepôt de Tang Frères, à Vitry-sur-Seine,
avant le Nouvel An lunaire.
De l’autre côté du couloir, l’équipe du marketing réfléchit aux ornements et autres cartes de vœux. Le directeur artistique reconnaît que les couleurs restent souvent les mêmes : « du rouge et du jaune, mais chaque année je change le sceau et depuis quelques temps j’ajoute un élément qui rappelle la dentelle, que j’ai eu l’occasion de voir beaucoup en Asie ». Plusieurs projets seront présentés avant que les affichages ne soient installés au sein du magasin historique de la marque, créé dès 1976.
Au siège de Tang Frères, avec l'équipe marketing
avant le Nouvel An lunaire.
Comme chaque année, et reflétant la gourmandise invétérée des Asiatiques, la rôtisserie verra ses chiffres exploser. Sa responsable nous éclaire sur cet engouement : « Les familles viennent commander des porcelets, des canards laqués, de la poitrine de porc croustillante et des poulets pour faire des offrandes et des prières, la veille du Nouvel An. Un mois avant, nous ne pouvons plus prendre de commande de porcelets, car cela demande beaucoup de travail, avec une cuisson lente et manuelle ». Depuis le mois de septembre, ses équipes sont à pied d’oeuvre pour préparer l’atelier de confection, réaliser la vérification du matériel et en assurer la bonne production. Les commandes de canards laqués sont multipliées par cinq et celles du poulet par dix. Des chiffres à faire tourner la tête.
Jérôme Coumet, Maire du 13e arrondissement de Paris,
avec Wenyu Han.
Un rendez-vous annuel pour la ville, et la France
Jérôme Coumet, Maire du 13e arrondissement de Paris depuis 2007, reconnait cette « responsabilité particulière », d’être le premier quartier asiatique d’Europe ; « un acteur important pour faire ce passage de témoin, cette ouverture culturelle ». Il souhaite ouvrir des portes : « J’ai envie de montrer que la culture asiatique ce n’est pas seulement la cuisine et la danse du lion », en proposant également des conférences et ateliers pour accompagner le défilé, avec l’aide de son ancienne chargée de mission : Wenyu Han. « Pour trouver des idées, j’ai contacté des galeries, regardé différentes initiatives sur internet et échangé avec le Centre Culturel Chinois et les associations du quartier », explique-t-elle, entre sélection de l’affiche qui annoncera ces deux semaines de fête et rendez-vous avec les différents sponsors.
« Nous recevons même des coups de fil de l’étranger avec des personnes qui veulent connaître la date du défilé pour venir à Paris »
Comme les danseurs du lion, employés de magasins, serveurs de restaurants, agents de sécurité et autres présidents d’associations, la mairie permet à des centaines de milliers de Français, d’origine asiatique ou non, de profiter de cette célébration. Et pas seulement : « Nous recevons même des coups de fil de l’étranger avec des personnes qui veulent connaître la date du défilé pour venir à Paris », s’enthousiasme le Maire du 13e. En dix ans, il a vu le Nouvel An prendre de plus en plus d’ampleur. Et ce n’est pas prêt de s’arrêter.
Article initialement publié dans le magazine Koï, numéro 3, janvier-février 2018.