Condamnant la répression violente menée par l’armée depuis le coup d’État le 1er février, les membres de la communauté birmane en France se mobilisent dans la rue pour défendre la démocratie. Leur objectif : faire pression sur l’ambassadeur birman à Paris et le pousser à prendre position contre les militaires putschistes.
[Texte : Sophie Kloetzli]
La crise politique qui secoue la Birmanie depuis le 1er février suscite la révolte bien au-delà des frontières birmanes. En France et ailleurs en Europe, la diaspora se mobilise pour faire pression sur la communauté internationale alors que l’Union européenne et l’ONU mettent en place des sanctions notamment économiques contre la junte dans un contexte d’intensification de la répression. Le 3 mars, le pays a traversé la journée la plus sanglante depuis le coup d’État qui a renversé le gouvernement civil d’Aung San Suu Kyi, avec au moins 38 morts et des dizaines de blessés parmi les manifestants pro-démocratie.
Quand l’histoire se répète...
Pour Htin Kyaw Lwin, président de l’association Communauté birmane de France, les événements actuels ont un triste goût de déjà-vu. « C’est la troisième fois que la junte prend le pouvoir par la force, rappelle-t-il. C’est déjà arrivé en 1962 et en 1988. » Lui-même, réfugié politique arrivé en France en 2001, a dû fuir le pays après avoir participé, étudiant, aux manifestations en 1988 réclamant l’établissement de la démocratie. Le mouvement s’était alors terminé dans le sang après un coup d’État militaire.
Aujourd’hui, c’est à distance qu’il affronte cette crise politique, en tâchant tant bien que mal de garder le contact avec ses proches en Birmanie. « Depuis début février, les réseaux sociaux ne fonctionnent pas très bien là-bas, c’est très lent », déplore-t-il. L’ONG de surveillance d’Internet NetBlocks a en effet observé des coupures des communications Internet et des services téléphoniques dès le jour du coup d’État.
Retour au militantisme pour la communauté birmane
En France, la diaspora birmane – dont il estime la taille à environ 500 personnes – se réorganise lentement après plusieurs années de calme, explique Htin Kyaw Lwin. « Nous avons tout arrêté après la visite d’Aung San Suu Kyi en France en 2012 [Élue députée cette année-là, elle a ensuite mené son parti, la Ligue nationale pour la démocratie (LND), à la victoire aux législatives de 2015, ndlr]. Nous n’avions alors plus besoin de faire pression pour changer la situation en Birmanie. »
« Les Birmans en Birmanie et les Birmans de l’étranger doivent travailler ensemble pour battre le coup d’État. »
Depuis le début de la crise politique, deux manifestations ont déjà été organisées à Paris, le 7 février sur le parvis de l’Hôtel de Ville, et le 18 février devant l’ambassade de Birmanie. « Les Birmans en Birmanie et les Birmans de l’étranger doivent travailler ensemble pour battre le coup d’État », affirme Htin Kyaw Lwin. Selon lui, une centaine de personnes aurait participé au premier rassemblement, et une quarantaine au deuxième. Entre les pancartes réclamant la libération d’Aung San Suu Kyi et condamnant le coup d’État militaire, les manifestants ont réalisé le salut à trois doigts emprunté au film Hunger Games. Popularisé en 2014 par les militants pro-démocratie thaïlandais, il est devenu un geste de résistance contre la junte.
Faire pression sur l’ambassadeur
Les soutiens politiques étaient quant à eux très rares, à l’exception notable du député (PS) Alain David, président du groupe d’amitié France-Birmanie, qui a pris la parole lors de la manifestation du 18 février. Ce groupe se mobilise aujourd’hui en « sollicitant le gouvernement et en l’incitant à prendre un certain nombre de mesures, en particulier le gel des avoirs de hauts dignitaires birmans, expose le député. Le ministre des Affaires étrangères s’est engagé mercredi [3 mars] à regarder de très près cette question et à aller dans ce sens ». En revanche, poursuit-il, « les interventions directes sont plus compliquées pour nous car il y a quasiment une impossibilité de contact avec les députés birmans, dont beaucoup ont été inquiétés par la junte militaire ».
La France appelle à mettre immédiatement un terme à la répression en Birmanie, à libérer les personnes détenues et à respecter le choix démocratique du peuple birman exprimé lors des dernières élections. Nous sommes à vos côtés.
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) March 3, 2021
Une troisième manifestation est programmée lundi 8 mars devant l’ambassade birmane à Paris. « L’ambassadeur de Birmanie n’a pas encore pris position, nous allons le pousser à le faire. Il faut qu’il dénonce le coup d’État », déclare Moh Moh Myint Aung, l’une des représentantes de la communauté birmane en France qui a relayé l’appel à manifester dans toute l’Europe .
« Il faut utiliser la puissance de la communauté internationale pour changer la situation en Birmanie. C’est notre dernière chance ».
Une stratégie qui a du sens pour Sophie Boisseau du Rocher, chercheuse au Centre Asie de l’Ifri : « Les ambassadeurs birmans risquent leur poste s’ils prennent position [à l’instar de l’ambassadeur birman à l’ONU, Kyaw Moe Tun, démis de ses fonctions le 27 février après avoir rompu avec la junte]. Il faudrait une réponse collective des ambassadeurs. ». Alain David, pour sa part, a l'intention de solliciter directement l’ambassadeur birman : « Nous pensions qu’il répondrait, qu’il prendrait position. » Il espère aussi que la prochaine manifestation sera « couronnée d’un meilleur succès » en termes de soutiens politiques, car « beaucoup de partis soutiennent les Birmans en France ». Le député ajoute néanmoins : « Un certain nombre d’entre eux ont leur famille toujours présente en Birmanie. Il faut être prudent, ne pas trop les exposer non plus ».
Et Htin Kyaw Lwin de conclure : « Il faut utiliser la puissance de la communauté internationale pour changer la situation en Birmanie. C’est notre dernière chance : si nous ne gagnons pas, ça prendra vingt, trente, quarante ans pour rétablir la situation ».
[Photo prise à la manifestation du 18 février à Paris, postée par l'association Info-Birmanie sur Twitter]