Sur Instagram, le photographe Vuthéara Kham immortalise un Paris au charme d'Antan.
Sous son duffle-coat bleu marine, VuThéara Kham commande un thé Earl Grey pour se réchauffer. Rien ne pourrait laisser présager que ce trentenaire d’apparence menue pourrait souffler le chaud et le froid sur le réseau Instagram. À part peut être cet appareil qui ne le quitte jamais et qu’il porte en bandoulière.
Né en Normandie en 1982, un an après l’arrivée de ses parents cambodgiens, VuThéara Kham raconte avec simplicité l’histoire de sa famille. « Quand mes parents ont quitté le Cambodge, il n’y avait pas assez de place pour toute la famille aux États-Unis. Certains sont partis dans le Main, d’autres sont allés en région parisienne : Lognes, Torcy, Pontault-Combault. Je crois que mon père m’a raconté qu’il n’avait que cinq francs à l’époque pour appeler une famille d’accueil depuis une cabine téléphonique », confie le Normand, qui a ainsi vu le jour à Valognes (50) : « un petit patelin ! » Il grandit avec trois frères, « dans le milieu du skate » et se met à la vidéo vers quatorze ou quinze ans, avec un objectif fisheye et des cassettes HI8 se souvient-il en souriant. Ses parents tiennent un restaurant à Cherbourg et rien ne prédestine le garçon à un tel succès, si ce n’est son intérêt pour l’image.
« Lorsque j’étais en DUT, je suivais des cours d’histoire de l’art et je m’intéressais déjà à l’image, à la vidéo, au cinéma asiatique de Wong Kar-wai ou Kim Ki-duk. Celui de Chaplin aussi. » Il faudra attendre son arrivée à Paris, pour valider une licence professionnelle en web design, pour que naisse le photographe.
Arrivé de Normandie, il découvre Paris à l’image de la ville qu’il s’imaginait, avec ses pavés qui s’illuminent et ses amoureux sur les bancs publics.
« Lorsque je suis arrivé en tant que stagiaire, se remémore-t-il aujourd’hui, j’ai découvert Paris à l’image de la ville que j’imaginais. Je logeais chez de la famille à Cergy, prenais le métro et sortais à Saint-Germain-des-Prés ». Un quartier qui fascine le jeune homme et l’inspire toujours, dix ans après son installation dans la capitale.
Au cours de ces années, VuThéara Kham évolue au sein de l’entreprise qui l’embauche à la suite de son stage et découvre, grâce à un ancien camarade, une application encore toute naissante : Instagram. Il l’installe sur son iPhone d’occasion, « acheté pour écouter de la musique ». Une musique qui occupe une place majeure dans les déambulations du photographe et revient régulièrement dans les quelques interviews qu’il accorde aux médias. « Au début, j’écoutais de la musique mélancolique, un peu dépressive », se souvient-il.
La photographie comme métier
L’actrice et réalisatrice Angelina Jolie, le footballeur Neymar, ou encore le danseur et chorégraphe Wayne McGregor, sont tous passés devant l’objectif du Normand. C’est à se demander si quelqu’un pourrait lui résister.
En effet, son influence est désormais telle que toutes les marques le sollicitent et le respectent. Ombeline Deplanque, en charge des relations influenceurs pour l’agence de communication Havas a ainsi sollicité le photographe pour le compte de la RATP. « VuThéara nous accompagne pour développer la notoriété
du compte Instagram de la RATP en créant du contenu. Il a inspiré sa communauté [1,2 million de personnes, ndlr] autour d’un jeu-concours et nous avons créé un Instameet : une rencontre avec une dizaine de personnes pendant 1 h 30 et à qui il a fait découvrir Paris », raconte Ombeline Deplanque. Les publications du photographe ont fait doubler le nombre de « j’aime » sur les photos de la compagnie de transports parisiens et ont suscité plus de commentaires, apportant 4 500 followers de plus à la RATP. Un rayonnement qui paye, grâce au talent du photographe.
« VuThéara est timide, il dit toujours : Ce ne sont que mes conseils, je ne suis pas un expert », Ombeline Deplanque.
« Avec lui, toutes ses photos sont validées dès la première réunion », affirme la communicante. Ses clichés ont un petit goût de « carte postale, dans le bon sens du terme », explique Antoine Neufmars, directeur artistique ayant fait appel à VuThéara Kham pour Roger Vivier et l’Opéra de Paris. « Il a cette magie de l’instant, de l’architecture parisienne, des lignes et de la lumière. Il sait très bien quel objectif prendre, régler sa lumière. C’est un pro, avec une vraie maîtrise technique », explique-t-il.
Un professionnel qui n’oublie pas d’apporter un regard humain, parfois plein d’humour à son travail, à la manière d’un Martin Parr lorsqu’il photographie une femme au brushing soufflé ou un chien au volant d’une voiture. Le Normand se dit inspiré par Henri Cartier-Bresson, Robert Doisneau, les portraits de Steve McCurry ou de Peter Lindbergh. « Les photographes parisiens m’ont aussi beaucoup influencé, comme Brassaï. D’ailleurs peut être que si j’étais né à Paris je n’aurais pas pris les mêmes photos », analyse-t-il.
VuThéara Kham réussit à vivre de cette vie de photographe/influenceur. « Je pense que mes parents sont fiers, mais ils ne le disent jamais. Petit, j’étais le seul à avoir redoublé plusieurs fois, à faire un BEP alors que mes frères ont fait un bac scientifique. Je ne savais pas trop ce que je voulais faire, mais j’ai trouvé ma voie », explique le jeune homme, rempli d’humilité.
Ombeline Deplanque le confirme : « VuThéara est timide, il était un peu dans son coin pour le premier Instameet que nous avons organisé avec la RATP. Il disait Ce ne sont que mes conseils, je ne suis pas un expert ».
En 2013, son talent et son succès lui ont également permis de faire la rencontre des éditions de la Martinière et de sortir Point of VuTh, un ouvrage réunissant ses clichés postés sur Instagram et quelques images inédites prises au Cambodge.
Cambodge mon amour
Il foule la terre de ses parents pour la première fois en 2010. « J’avais un caméscope en forme de sèche-cheveux ! Je suis parti seul, pendant trois semaines, en mode backpacker ». Il veut découvrir le pays : « J’avais tellement de questions sans réponse... » Il y retournera de nombreuses fois, notamment l’année dernière, avec ses parents. « J’étais à Cherbourg quand ils m’ont dit qu’ils avaient pris leurs billets. J’étais furax qu’ils ne m’aient rien dit et j’ai fini par partir avec eux ! »
En 2010, il découvre le Cambodge, pays de ses parents : « J’avais tellement de questions sans réponse ».
Ce pays est une source d’inspiration pour le trentenaire, qui a également assisté à la projection du film d’Angelina Jolie et Rithy Panh D’abord ils ont tué mon père, à la terrasse des éléphants devant les ruines du palais royal d’Angkor, pour le diffuseur Netflix.
réalisée par VuThéara Kham.
Le pays de sa famille reste très cher au jeune homme qui garde un oeil attentif aux artistes d’origine cambodgienne et a reversé les bénéfices de sa première exposition à l’association Pour un sourire d’enfant, venant en aide aux jeunes défavorisés et déscolarisés au Cambodge. « Je l’ai refait en 2016, à l’occasion d’une exposition chez Cheers. C’était juste un clin d’oeil », ajoute-t-il encore plein de modestie.
Malgré les nombreux voyages effectués pour son travail, au Cambodge mais aussi à Cuba, au Pérou, en Mongolie, en Sibérie, en Chine, en Australie,... VuThéara Kham se voit bien rester à Paris pour déambuler encore et encore aux Tuileries, devant le Palais Royal, sur les pavés de Saint-Germain-des-Prés, ou avec les touristes de Montmartre.
Article initialement publié dans le magazine Koï, numéro 5, mai-juin 2018.