Vote asiatique : vers qui penche la balance ?

Par Rémi-Kenzo Pagès
Photo de Blandine Pannequin

Une vague brune a frappé la France, au soir des élections européennes du 9 juin 2024, suivie de la dissolution de l’Assemblée Nationale. Le 30 juin 2024, les Français sont appelés à désigner de nouveaux députés. Ici encore, les voix des communautés asiatiques semblent loin d’être homogènes.

L'heure du dîner approche dans le quartier des Olympiades, au cœur du 13ème arrondissement parisien et les restaurateurs s’affairent avant le coup de feu. Depuis quelques jours, la campagne pour les législatives anticipées bat son plein et les visages des candidats s'affichent sur les murs. La gérante d’un restaurant traditionnel cambodgien que l'on rencontre ce soir-là, en train de dresser les tables, confie sa préférence pour le Rassemblement National lors du prochain scrutin… sans l'assumer auprès de ses voisins.

Dans la capitale, 8,54 % des suffrages se sont portés sur le RN, loin des résultats nationaux (31,37 %). « Vous êtes le premier à qui j’en parle » chuchote celle qui demande l’anonymat et souhaite se faire appeler Rose, « car il y a beaucoup de sans papiers ici ». Rose, la cinquantaine, pointe les commerces asiatiques aux alentours.

La commerçante, en France depuis 1976, a voté pour Emmanuel Macron en 2017, mais son vote a basculé vers le RN lors de la dernière élection présidentielle. Chaque matin, elle arrive aux Olympiades pour y travailler et repart chaque soir rejoindre la banlieue cossue où elle réside. « Je suis moi aussi étrangère. Si les immigrés viennent et travaillent dur pour la France ce n’est pas un problème. Si c’est pour salir, là oui par contre. C’est pour cela que j’ai préféré ne pas côtoyer d’autres Asiatiques avant d’ouvrir mon commerce. Je vois bien ce qu’ils ont en tête, communauté asiatiques comprise : profiter des aides. »

 

« Il y a de la jalousie à l’encontre de nos communautés » 

 

À quelques rues du quartier des Olympiades, Thi Than Nguyen, Parisienne de 82 ans qui habite près de la Place d'Italie, affirme d’emblée :  « Nous aussi sommes immigrés, mais on est venus pour travailler, pas pour profiter ». Cette fervente lectrice du Figaro, d’origine vietnamienne, vote pour Les Républicains.

Arrivée en France en 1969 et désormais retraitée, l’ancienne assistante comptable souhaite rester fidèle aux Républicains et ne pas suivre les partisans d’Eric Ciotti qui font alliance avec le RN. Mais comme Rose, c’est bien le sujet de l’immigration qui l’interpelle:  « Là-dessus, je suis d’accord avec le Rassemblement National ». Elle considère l’immigration comme étant à l’origine du racisme anti-asiatique et se sent en insécurité, en tant que femme d’origine asiatique.  « Il y a de la jalousie à l’encontre de nos communautés, qui réussissent » dit-elle en pointant d’autres groupes issus de l’immigration.

Contrairement à Rose qui préfère sa banlieue bourgeoise, Thi Than Nguyen se sent bien dans le 13ème arrondissement.  « Ici, on n’a pas d’émeutes ni d’insécurité car on [les communautés asiatiques] travaille, on reste tranquille et on n’aime pas déranger les autres. » Pour appuyer son argumentaire, elle ajoute :  « Dans le cabinet d’expertise comptable où je travaillais, ma patronne me disait toujours de recruter en premier des Européens, et en second des Asiatiques ».

Depuis les rives de la mer de Chine méridionale, Marc Guyon observe ce qui se passe en France, désabusé. Candidat aux législatives dans la onzième circonscription des Français de l’étranger, qui comprend l’Asie de l’Est, ce Marseillais originaire du Vietnam vit à Hong Kong depuis douze ans. Passionné de sports de combat, le contrôleur de gestion s'est installé dans le sud-est de la Chine pour devenir professeur de Wing Chun Kung Fu. À 40 ans, il est aussi coach de MMA. Dissident exclu de Reconquête, il portait les couleurs du parti d’Eric Zemmour lors des précédentes élections législatives et a décidé d’y retourner.

Marc Guyon n’a pas toujours été militant d’extrême droite. « Nicolas Sarkozy, dont j’étais un grand fan, m’a donné envie de m’engager en politique, à l’époque à l’UMP puis pour les Républicains. J’ai rallié Eric Zemmour en 2021. ll était pour moi le nouveau Sarkozy. J’avais l’impression d’un homme providentiel. » Un basculement qu’il justifie notamment par « un sentiment d’attaque, d’insécurité, d’hostilité » envers les Asiatiques devenus, selon lui, des cibles. « Ma mère habite seule, elle a plus de 70 ans et je me fais du souci. C’est ce qui me motive. On pense d’abord à nous, à notre famille, à notre communauté » poursuit-il.

 

Racisme anti-asiatique : des réponses antagoniques

 

Une argument qui ne manque pas de hérisser certains électeurs de gauche, parmi les diasporas asiatiques. Gaëtan Zhang, président de Génération Panasiatique et formateur indépendant en soft skills, craint une libération de la parole raciste en cas d’arrivée de l’extrême droite au pouvoir. « Il y a plein de sujets portés par le RN contre la communauté asiatique », affirme le responsable associatif de 27 ans. « On a été assignées à une position de minorité modèle, silencieuse et silenciée. »

Originaire du nord de la France, près de Hénin-Beaumont, place forte du RN, il raconte un racisme anti-asiatique tout aussi fort que les autres. « On était les seuls Asiatiques. C’était banal de nous insulter au collège et en primaire, d’imiter notre accent ou nos yeux et de nous provoquer en pensant qu’on ne réagirait pas. J’ai vu mes parents subir un manque de respect au travail, dans leur vie de tous les jours ou à la préfecture. C’est insidieux et ça crée de profonds traumatismes » témoigne-t-il. Un harcèlement qui, contrairement aux expériences de Thi Than Nguyen, n’était pas causé par d’autres communautés issues de l’immigration. 

Avec son association, Gaëtan Zhang a participé à l’écriture d’une tribune dans Politis intitulée : « Nous, asiodescendant·es : Rassemblement national, vous n’aurez pas nos voix ! »

 

Un électrochoc dans nos communautés

 

« Nos communautés sont choquées et effrayées par le risque fasciste » affirme Tom Nico, membre du collectif Vietnam Dioxine. Selon lui, la large victoire du RN aux européennes a été « un électrochoc dans nos communautés ». Très vite, son collectif s’est positionné en publiant un communiqué pour appeler à voter pour le Nouveau Front Populaire. Chargé de mission environnement dans le secteur public et par ailleurs engagé dans des combats pour l'écologie, ce militant de 31 ans ne décolère pas contre les électeurs d’origine asiatique qui votent pour l’extrême droite.  

Dans le cadre de la campagne pour les législatives anticipées, le Rassemblement National promet une nouvelle loi d’urgence sur l’immigration pour durcir celle du gouvernement. « Les politiques migratoires qui tuent touchent directement nos diasporas. En 2019, trente-neuf Vietnamiens sont morts asphyxiés dans un camion frigorifique. » Ils voulaient rejoindre l’Angleterre illégalement et avaient été retrouvés dans un véhicule à l’est de Londres alors qu’ils étaient montés la veille, près de Dunkerque. « Le RN met en danger nos vies et celles de nos communautés. » 

Il craint lui aussi une libération de la parole et des actes racistes. « J’ai grandi dans une commune rurale, dans le sud du Morbihan, en Bretagne. j’ai connu des moqueries, du harcèlement et subi une agression à l’école primaire. On parle peu du racisme dans les zones rurales, or c’est le terreau du RN. Dans ma commune, Jordan Bardella était en tête aux européennes. »


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