La DJ Louise Chen s'est fait un nom sur la scène parisienne et internationale en mixant du hip hop et du r'n'b dans les clubs de la capitale.
Sur la courte biographie qu'elle affiche sur son compte Instagram, Louise Chen l'admet d'emblée avec humour : elle n'a pas dormi depuis 1999. On la retrouve pourtant un matin à la terrasse d'un café. Elle débarque avec son blouson vintage en jean rose, ses rangées de colliers et un sourire qui ne quittera pas son visage.
Fraîchement rentrée de Berlin, les nuits sans sommeil à mixer dans les clubs de la capitale allemande n'ont pas entamé sa bonne humeur. Ses yeux s'illuminent sous sa frange châtain lorsqu'elle parle de ses soirées à Luxembourg, de ses samedis matins d'adolescente à regarder le Hit Machine, de ses premiers sets au Social Club à Paris ou de Drake. Bref, de musique. C'est le fil rouge de son existence.
Cette fille unique grandit au Luxembourg entre une mère alsacienne, traductrice à la commission européenne et un père d'origine taïwanaise. Ce dernier doit voyager régulièrement en Asie et prend l'habitude d'envoyer à sa famille des cassettes remplies de chansons des Rolling Stones ou des Beatles. « La musique est devenue un moyen de garder un lien autre que les coups de fils » se souvient Louise.
En 1999, la future DJ et sa meilleure amie font « des pieds et des mains » pour avoir le droit de sortir fêter la nouvelle année au son de Waiting for Tonight de Jennifer Lopez, dont le clip bourré de lasers futuristes obsède les adolescentes. Elle obtient pour la première fois le droit de sortir danser. « J'avais 14 ans, et c'est comme ça que j'ai attrapé le virus de la nuit », s'amuse-t-elle.
De J-Lo, elle passe au rap et au r'n'b, qu'elle écoute sur MTV ou en cours de danse, mais c'est surtout le rock de Placebo ou Smashing Pumpkins qui va bercer ses états d'âme d'adolescente mélancolique. « On a commencé à s'échanger des CD de rock indépendant avec des gens du lycée, se souvient-elle. J'étais invitée aux répétitions, j'allais à des concerts. »
Luxembourg, Paris, Londres, Berlin, New York… Louise Chen dévore la nuit dans les plus grandes villes du monde.
À 17 ans, la parenthèse enchantée du Luxembourg, où Louise Chen s'était fait sa place, se referme. Elle s'installe à Paris pour débuter des études dans la communication et décroche des stages non rémunérés dans des magazines et des agences qui lui permettent de figurer sur les guest lists de concerts. Ses études sont rythmées par les soirées où elle se reconstruit une communauté musicale. Pour son master, elle quitte Paris pour Londres. Un job pour un site de généalogie l'éloigne un peu de la musique en 2008 mais rien à faire : le virus la rattrape. Dès lors elle ne déviera plus de sa passion. La musique la ballote d'une ville à l'autre.
DJ Medhi: une rencontre qui bouleverse sa vie
Après un passage à New York et un retour à Londres, elle repose ses valises à Paris pour travailler pour l'agence de booking The Talent Boutique. « J'ai commencé à travailler avec des DJ dont c'était la carrière », se souvient Louise.
Une rencontre va particulièrement la marquer. DJ Mehdi, brillante figure de la scène française, voit en elle un potentiel énorme et fait voler ses doutes en éclat. Louise Chen, qui a commencé à passer des disques et à apprendre les ficelles du métier en 2006 dans un bar parisien, commence à s'imaginer derrière les platines. Mehdi (disparu dans un accident en 2011) et Bambounou l'encouragent à se faire un nom. Éclectique, cette passionnée de house, de post-rock, de soul, de hip hop, de disco et de r'n'b imprime sa marque dans les soirées parisiennes et notamment au Social Club.
« J'en avais marre de voir des gars jouer de la musique pour d'autres gars »
En 2012, avec Piu Piu et Betty Bensimon elle monte le collectif Girls Girls Girls. Pendant trois ans, elles organisent régulièrement des soirées au Social Club où elles mixent et programment d'autres femmes. « J'aimais jouer du hip hop et du r'n'b et j'en avais marre de voir des gars jouer de la musique pour d'autres gars » explique-t-elle simplement. « C'était super de ne pas avancer toute seule. Ça m'a donné confiance en moi. » Les projets s'enchaînent : on la voit à la télévision sur Canal+. Elle diffuse ses mix sur la radio le Mellotron, mixe pour les plus grandes marques (Chanel, Dior...) dans les lieux les plus prestigieux (la Fondation Louis Vuitton). Parfois, on la croise aussi dans des contextes inattendus.
« Ça a rouvert des plaies, notamment par rapport au racisme dont mon père a souffert et dont on n'a jamais parlé ouvertement. »
En janvier 2017, elle s'engage dans Les Inrocks en publiant une tribune sur le sketch raciste de Gad Elmaleh et Kev Adams dans laquelle elle dit ne pas pouvoir « digérer » cette énième moquerie envers la population asiatique. « Quand j'ai écrit ce texte il y avait une succession de choses » explique-t-elle aujourd'hui. « Le Brexit, Trump... C'était une invitation au racisme ordinaire. Ça a rouvert des plaies, notamment par rapport au racisme dont mon père a souffert et dont on n'a jamais parlé ouvertement. »
L'avenir, elle l'envisage en musique. Louise Chen ne sait pas combien d'années elle tiendra, sans dormir, à arpenter le monde, mais elle prépare déjà sa mue. Elle travaille à son premier EP (CD de quelques musiques). Des compositions originales, qu'elle a enfin décidé d'offrir au public. Avant qu'ils soient, à leur tour, joués par les DJ de demain.
Article initialement publié dans le magazine Koï, numéro 5, mai-juin 2018.