Après les propos racistes tenus par un éditorialiste sur BFM TV, des personnalités françaises d’origines asiatiques ont déposé plainte et signé une tribune sur Mediapart pour dénoncer l’exacerbation du racisme anti-asiatique en France. Signataire de ce texte, Grace Ly revient sur cette action en justice et la haine qui cible les communautés asiatiques en France pendant la crise sanitaire.
Samedi 3 avril, alors que BFM diffusait en direct les images très solennelles d’une cérémonie rendant hommage aux victimes du Covid-19 en Chine, les téléspectateurs ont pu entendre la phrase suivante chuchotée à l’antenne : « ils enterrent des Pokémon ». L’éditorialiste en question, Emmanuel Lechypre, se justifiera ensuite sur Twitter en disant qu’ils « pensai[t] les micros fermés » et qualifiera sa remarque de « totalement déplacée » — mais pas de « raciste ». Pourtant, ces quelques mots murmurés participent bien de la banalisation et à l’amplification du racisme anti-asiatique qui accompagne la propagation du virus depuis quelques mois. « Tous les téléspectateurs devant leur écran de télévision ce jour-là doivent savoir que ce racisme est inacceptable », écrivent ainsi les signataires de la tribune publiée dans Mediapart le 15 avril annonçant le dépôt de plainte contre l’injure proférée par Emmanuel Lechypre. Pour Grace Ly, autrice et animatrice du podcast Kiffe ta race, le combat doit se mener désormais à tous les niveaux. Interview.
Avec le Covid-19, le racisme anti-asiatique s’est-il amplifié ?
J’ai le sentiment que le racisme anti-asiatique s’est aggravé depuis le début de la crise du Covid-19. J’entends autour de moi des propos racistes envers les personnes asiatiques, sur les réseaux sociaux, dans les médias et dans l’espace public de manière générale. Quand on est angoissé, on cherche à mettre la faute sur quelqu’un. Les Asiatiques, les Chinois et les Wuhanais sont ceux sur qui les regards se portent parce qu’on a l’impression que cela nous ferait du bien de pouvoir diffuser notre colère contre ces gens-là.
Prendre les Asiatiques pour cible, est-ce devenu banal ?
Le racisme est d’autant plus violent qu’il est ordinaire et banalisé. Les propos des journalistes dans les médias, comme ceux d’Emmanuel Lechypre sur BFM TV — « Ils enterrent des Pokémon » — pendant une cérémonie qui rendait hommage aux personnes chinoises décédées du Covid-19 à l’occasion de Qingming, la fête des défunts en Chine, banalisent le racisme anti-asiatique, déjà parce qu’il y a un déni de racisme.
© Melody Ung
Peut-on vraiment appeler ça du racisme ?
Le fait de ne pas le nommer ainsi et d’éluder cette question participe à la banalisation du racisme anti-asiatique en France. Le problème, à la base, est que cet homme, en voyant ces personnes mortes, a pensé à des Pokémon, et uniquement parce qu’elles sont asiatiques. Si elles avaient été d’autres origines, il n’aurait jamais pensé à faire cette comparaison. Pour lui, il y a un lien entre le fait d’être Asiatique et le fait d’être un Pokémon.
Aux États-Unis et en Australie, il y a eu des cas d’agressions physiques. Cela peut-il arriver en France aussi ?
J’ai lu aussi dans les médias des cas rapportés de violences extrêmement fortes, d’agressions physiques, et même des décès, aux États-Unis et en Australie. Je pense que nous ne sommes pas à l’abri en France de telles violences. D’ailleurs je ne sais même pas si cela est déjà arrivé.
Quelle est la solution ?
Pour réagir contre le racisme de manière générale, et contre le racisme anti-asiatique en particulier, on peut tous faire quelque chose, individuellement et collectivement. Individuellement parce qu’on peut dénoncer cette violence-là, lorsque on n’est pas en danger et qu’on se sent capable de le faire. On peut répondre, on peut soutenir. Collectivement, on peut mener des actions pour montrer que ce n’est pas cette France-là qu’on veut. Notre France à nous est celle de l’égalité.
Quelle a été ta dernière prise de position ?
Récemment, nous avons co-écrit une tribune avec d’autres personnes asiatiques et non-asiatiques pour dénoncer ce racisme une fois de plus, et l’associer à une action judiciaire. Il est aussi important de mener ce combat-là devant les tribunaux pour que cette violence raciste soit condamnée, qu’elle soit reconnue comme étant une violence raciste, et que cela puisse servir d’outil pour que les autres médias ne s’emparent pas de ces propos.