Fête de la Lune : recréer du lien grâce aux traditions

Par Weilian Zhu
Photo de Emeric Fohlen

La fête de la Lune, deuxième fête plus importante dans la tradition chinoise réunit chaque année les familles, dans les temples ou à la maison. Reportage sur ces traditions et célébrations. 

Dans le temple, trois bâtonnets d'encens se consument silencieusement. Pas un mouvement d'air ne vient perturber les filets de fumée s'élevant verticalement, contrairement à la pluie battant les dalles des Olympiades, quartier du 13e arrondissement de Paris où se tournent clips de hip-hop et sauts périlleux de free-running. C'est à l'ombre d'une de ces tours de trente étages que se trouve le temple de l'Amicale des Teochew à la façade discrète surmontée d'un avant-toit style pagode.

En cette veille de la fête de la Lune (ou de la Mi-Automne), Madame Chen, Cambodgienne d'origine chinoise arrivée en France en 1985, dispose des bouquets de chrysanthèmes dans des jarres. Le jaune acidulé des pétales s'ajoute à une palette déjà bien garnie sur l'autel : orange des clémentines, vert du pomelo, doré des gâteaux de lune. Le tout disposé au pied du Boudhha. « J'ai fini mes offrandes. Demain il y aura trop de monde et je ne viendrai pas », explique-t-elle. Avec une autre bénévole, elles s'attèlent maintenant à la décoration des lieux pour accueillir les fidèles. Chaque fruit est méticuleusement essuyé, les étiquettes décollées, puis disposé en pyramide dans une assiette en porcelaine. Les pommes sont luisantes, comme enrobées de cire.

 

Des offrandes de fruits ronds et de gâteaux de lune dans le temple de l'Amicale des Teochew.

 

 

« Des clients me racontent souvent des histoires de ma grand-mère leur livrant des pâtisseries quand ils étaient au Cambodge ! »

 

Gâteaux de lune et chaleur familiale
Pour ces immigrées de la première génération, la fête de la Lune est incontournable. Déjà, enfants au Cambodge, elles allaient au temple avec leurs grands-parents, eux-mêmes émigrés chinois. « Traditionnellement, nous réunissons toute la famille autour d'un bon dîner, dégustons des gâteaux tout en contemplant la Lune, et allons au temple faire des offrandes aux divinités et aux ancêtres, explique Madame Chen. J'ai des enfants qui sont mariés à des Français, ils adorent manger les gâteaux de lune et apprécient la chaleur familiale à cette occasion. » Peu étonnant car chez Madame Chen, ces pâtisseries sont confectionnés par le papa : un cœur de durian confit enrobé d'une pâte feuilletée, marquée d'un coup de tampon pour la signature familiale.

Les gâteaux de lune, c’est aussi une histoire de famille à la pâtisserie Bành Tân Tân (ou pâtisserie de Choisy) où, en cette veille de fête, s'agglutine une foule inquiète d'être arrivée trop tard. Depuis 1981, la famille Li les confectionne en France. Christine est la 3e génération à tenir cette boutique : « Des clients me racontent souvent des histoires de ma grand-mère leur livrant des pâtisseries quand ils étaient au Cambodge ! » Les habitudes et les amitiés ont traversé les âges et les océans. Désormais, c'est le petit frère de Christine qui est aux commandes dans leur atelier à Vitry-sur-Seine (94).

 

« Je remarque que ce sont des clients âgés qui viennent acheter les gâteaux de lune. Les jeunes n'aiment pas trop le goût »

 

Rond, doré, sculpté de motifs fleuris, le gâteau découpé révèle des couleurs d'ailleurs : pourpre comme la purée de haricot rouge, blanc argenté comme la noix de coco, translucide comme les graines de lotus, ou brun comme les noix de cajou caramélisées. Des recettes dans la plus pure des traditions.

 

Christine Li devant la pâtisserie de Choisy
où trois générations se sont succédé.

 

« Je remarque que ce sont des clients âgés qui viennent acheter les gâteaux de lune, raconte Christine. Les jeunes en achètent plutôt pour les offrir aux aînés mais n'en mangent pas. Ils n'aiment pas trop le goût ou sont plus attirés par les mooncakes revisités de Pierre Hermé. »

Une fête qui a moins de saveur
Le jour de la fête, les temples connaissent un petit pic de fréquentation. À l'Autel de culte du Bouddha, inauguré en 1989 sous les dalles d'Olympiades, le va-et-vient des fidèles est incessant. Sept divinités issues du bouddhisme et du taoïsme y sont vénérées. Chacune d'elle possède un champ d'action : les ancêtres, la vie, le travail, la richesse, la félicité, la terre et l'univers. On se prosterne, on plante des bâtons d'encens, certains consultent leur chance en jetant des bâtonnets du destin sous le regard impassible des divinités.

« D'habitude, il y a trois fois plus de monde, note Véronique Lam, arrivée en France en 1976. Et vous voyez, il n'y a pas de jeunes, que des personnes âgées. Les jeunes ont oublié ce que l'on célèbre. Ils mangent juste les gâteaux mais ne connaissent pas les histoires derrière. En France, dans la communauté asiatique, j'ai peur que d'ici quelques années on ne célèbre plus la fête de la Mi-Automne. Et les mythes, les histoires seront tous oubliés. »

 

Prières et encens dans le temple de l'Autel du culte de Bouddha
le 
jour de la fête de la Lune.

 

Han Wenguang, secrétaire général de l'Association des résidents en France d'origine indochinoise (ARFOI) qui gère le temple, fait le même constat. « Mon vœu le plus cher est de réunir mes enfants à la fête de la Mi-Automne. Mais ils ne viennent pas toujours à cause du travail ou des vacances scolaires. C'est à nous, anciens, de leur transmettre les traditions. » 

Enfants occupés, peur des lieux publics, fêtes annulées : depuis 2020, la fête de la Lune a quelque peu perdu de sa saveur. Mais l'idée centrale perdure encore grâce aux réseaux sociaux. Madame Chen prévoit plusieurs appels vidéo avec sa famille installée à Hong Kong et à Chaozhou — ville du sud-est de la Chine. Monsieur Han a carrément un « téléphone qui croule sous les messages de voyeur et les gâteaux de lune virtuels ».

Avec des familles souvent éparpillées un peu partout dans le monde, dispersées par les tourments de l’Histoire, ces immigrés du Cambodge, du Vietnam, du Laos ou de la Chine savent que ce soir, ailleurs sur le globe, la Lune sera tout aussi ronde et brillante. En ces temps difficiles, retrouver les siens, partager un gâteau rendent songeur.

Déjà en 1076, le poète chinois Su Dongpo écrivait à l'occasion de la fête de la Lune : « Les Hommes connaissent chagrin, joie, séparations et retrouvailles, tout comme la lune peut être sombre, claire, pleine ou partielle. Le monde a toujours été ainsi. Espérons seulement que tous connaissent le bonheur, et puissent admirer, même à mille lieues de distance de leurs proches, un même clair de lune ».

 

Article initialement publié dans le magazine Koï, numéro 20, janvier-février 2021.


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