Design japonais, arme de soft power en Occident

Par Pandou Media

Il suffit de lever le nez au plafond pour l’apercevoir. Parfaitement ronde, blanche, parfois jaunie. Légère, quasiment aérienne. Elle, c’est Akari, la boule japonaise en papier qui habille les ampoules du monde entier depuis les années 1950. Créée par le designer Isamu Noguchi, elle est aujourd’hui la suspension la plus vendue au monde, devenant l’ambassadrice d’une certaine vision du Japon dans les foyers occidentaux. Harmonieux, raffiné, épuré. Pourtant, peu de gens le savent, la présence de cette boule à la douce lumière fait partie d’une stratégie politique globale visant à remettre le Japon sur le devant de la scène au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Et ce, à travers l’exportation d’une certaine idée du beau...
[Texte : Margaux Vanwetswinkel. Photo : ©MUJI]

Tout commence en 1854, date à laquelle le Japon sort de deux siècles d’isolation. De ce pays lointain, les Occidentaux ne connaissent alors pas grand-chose. Ainsi, quand des livres, estampes, paravents, étoffes brodées et autres gravures importées font leur apparition, le Tout-Paris tombe en pâmoison. C’est que le « Wa » enchante les foules. Ce terme, qui signifie harmonie ou paix, alimente toute la culture nippone et se déploie jusque dans l’art et l’artisanat. Il renvoie à l’idée de formes simples, de matériaux naturels, de savoir-faire artisanal qui contraste avec le mode de vie et la production industrielle occidentale de l’époque. On parle de « découverte d’un continent esthétique nouveau », qui donne naissance au japonisme, un concept employé pour parler de l’emballement sans précédent suscité par les arts du Japon, au-delà de ses frontières.

Non contents d’en être collectionneurs, les artistes de l’époque s’en inspirent grandement. Monet, Van Gogh ou encore Gauguin puisent leur inspiration dans ces formes sinueuses, ces couleurs vives et cette représentation simplifiée de la nature, produisant pour certains leurs plus belles oeuvres.

Une nation d'artisans

Face à cet enthousiasme inattendu, le gouvernement japonais prend la mesure de ce qu’il tient entre les mains : un savoir-faire et un sens esthétique uniques qu’il faut valoriser pour faire entrer des devises étrangères. L’archipel va donc mettre en place sa stratégie de soft power, une manière non-violente d’exercer du pouvoir sur d’autres pays, notamment à travers la culture. L’heure est aux Expositions universelles et démonstrations en tout genre pour promouvoir le Japon comme une « nation de l’artisanat », fière de son passé et pleine de ressources pour l’avenir.

Pour pérenniser cet engouement, qui risque de s’essouffler face à l’apparition de « japonaiseries » — ces bibelots soi-disant vernaculaires de mauvaise qualité —, il faut faire évoluer la forme et la fonction des objets exportés. Pour ce faire, en 1928, le ministère du Commerce et de l’Industrie crée l’Institut de recherche sur les arts industriels (IARI). Son but ? Guider la production artisanale japonaise vers plus de modernisation et de standardisation, aider les industries à fabriquer des objets pleinement adaptés aux Occidentaux. Des artisans sont envoyés à l’étranger pour se former et le gouvernement invite des experts qui auront la tâche d’orienter l’art industriel.

Cet article est à lire en version intégrale dans Koï #19, disponible en ligne ou en kiosque du 5 novembre au 5 janvier.


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