Le restaurant de Céline Pham Inari à Arles réouvre ce mois-ci. La cheffe nomade y avait posé ses valises l’été dernier.
Entre deux résidences éphémères, Céline Pham nous parle de ses débuts en cuisine et de son inspiration vietnamienne.
Après des études en médiation culturelle et un job dans un label de musique, vous lâchez tout pour la cuisine. Comment y êtes-vous arrivée?
J’ai eu le déclic de manière inconsciente, vers mes dix-neuf ou vingt ans. Avant, je mangeais plus que je ne cuisinais. Je suivais seulement ma mère et ma grand-mère en tant que commis. Quand ma grand-mère a disparu, j’ai voulu trouver un métier manuel, significatif. Ça s’est fait progressivement après ma rencontre avec le chef Yuri. Puis j’ai fait mon apprentissage au Pré Verre avec le chef Philippe Delacourcelle.
Cela devait être une grosse pression pour une apprentie, non ?
Au Pré Verre, mes premiers postes ont été à la mise en place. J’épluchais quinze kilos de patates, d’artichauts, d’oignons... Je mettais des chronomètres pour aller plus vite. C’est un métier où pour être respecté il faut montrer l’exemple. Tu n’as aucune autorité si tu demandes à quelqu’un de faire quelque chose – et vite ! – que tu n’es pas capable de faire.
Après un an de CAP vous arrivez dans la cuisine d’un restaurant gastronomique fusion. Racontez-nous.
Mon chef d’école m’a placée au Kitchen Galerie [qui propose une cuisine fusion franco-asiatique]. J’ai redécouvert tous les produits avec lesquels j’ai grandi : mangue verte, papaye verte, basilic thaï...
Qu’est-ce qui vous inspire le plus ?
Je dirais les rencontres et les voyages. Il y a toujours un produit à goûter, même en se baladant sur un marché. Je reviens du Soudan où j’ai travaillé pour l’ambassade ; un cadre assez sérieux, dans un pays touché par la famine et un embargo. J’y ai découvert une façon de boire le café, avec beaucoup d’épices. J’ai fait un menu de produits locaux et je me suis éclatée.
« C’est un métier où pour être respecté il faut montrer l’exemple. Tu n’as aucune autorité si tu demandes à quelqu’un de faire quelque chose – et vite ! – que tu n’es pas capable de faire. »
Vous êtes plutôt travail d’équipe ou cuisine en solitaire ?
Moi je suis plutôt solitaire, du genre loup des steppes. J’aime organiser ma journée et j’accorde une grande importance au sport. Mon grand père était couturier au Vietnam, il habillait les premières dames du pays à Saigon. J’ai cette image de lui très sportif, faisant son jogging sur les bords de Marne lorsqu’il était plus jeune. Quand j’ai fait mon premier repas en mon nom, au restaurant Table ronde, ma famille est venue. Mes parents faisaient plein de photos de moi avec l’iPad, me parlaient fort, commentaient tout ce que je faisais devant tout le monde. À la fin ils m’ont envoyé un texto pour me dire que c’était le meilleur repas de leur vie.
Petite, vous avez cuisiné avec vos parents ?
J’aidais ma grand-mère à éplucher des kilos d’ail, je retirais la couenne de porc... J’ai reçu peu de marques d’affection, mais on me demandait si j’avais bien mangé, si j’en voulais plus, etc. Il y a quelque chose d’inscrit dans mes gênes. La manière d’exprimer un sentiment se fera par la cuisine, la manière de dire à quelqu’un que tu tiens à lui se fera par la cuisine... Je pense que c’est un phénomène culturel.
Quelles sont les similitudes entre les cuisines françaises et vietnamiennes ?
Il y en a plein. Je me souviens de ma mère qui faisait un caramel à sec et le déglaçait avec du nuoc mam, je voyais les bouillons, les fonds... J’aime jouer sur ça : chercher les sucres, les amertumes, trouver un équilibre.
Y a-t-il un plat qu’on vous faisait quand vous étiez petite et que vous n’arrivez pas à refaire ?
Un gâteau vert, au pandan, que ma grand-mère faisait. Ma mère n’arrive pas à le refaire, mon oncle non plus. J’ai une tante au Vietnam qui m’en ramène à chaque fois. La personne qui le fait ne veut pas me donner la recette.
« Au Vietnam, la manière de dire à quelqu’un que tu tiens à lui se fera par la cuisine. »
Vous avez également cofondé Restaurer, un collectif contre le gaspillage. C’est important pour vous de vous engager ?
Dans l’événementiel il y a beaucoup de gaspillage, il est toujours difficile de prévoir les quantités exactes. Maintenant il y a le Refettorio, un restaurant où l’on travaille les invendus, les restes, avec le savoir faire des chefs. C’est quelque chose de culturel que mes parents m’ont inculqué : « Si tu as la force de donner, ça te reviendra toujours ».
Article initialement publié dans le magazine Koï, numéro 5, mai-juin 2018.