Ce lundi 10 mai, le tribunal d’Évry a jugé irrecevable la plainte de Tran To Nga contre quatorze entreprises agrochimiques ayant produit l’agent orange pendant la guerre du Vietnam. La Franco-Vietnamienne va faire appel de cette décision et une marche contre Monsanto est programmée le samedi 15 mai.
[Texte : Sophie Kloetzli - Photo : Collectif Vietnam Dioxine sur Facebook]
Après six ans de procédure, le tribunal d’Évry a finalement jugée irrecevable la plainte déposée par la militante Tran To Nga contre les firmes d’agrochimie ayant fourni à l’armée américaine le fameux « agent orange ». Entre 1961 et 1971, 80 millions de litres ont été épandus au-dessus des forêts vietnamiennes. Elle-même, alors journaliste, y a été exposée et souffre de nombreuses pathologies liées à la dioxine. Quatre générations plus tard, ce défoliant hautement toxique fabriqué par Monsanto, Dow Chemical et autres qui a ravagé la biodiversité continue de faire des victimes, favorisant l'apparition de divers handicaps et malformations parmi les nouveau-nés.
Le tribunal s’est déclaré incompétent, estimant que les sociétés américaines en question pouvaient se prévaloir de « l’immunité de juridiction ». Il considère en effet que ces dernières avaient agi « sur ordre et pour l’ordre de l’État américain dans l’accomplissement d’un acte de souveraineté » dans le cadre d’une « politique de défense » en temps de guerre. Dans ces conditions, elles ne peuvent être jugées par un autre État, en l'occurrence la France.
Un point qu’Amélie Lefebvre, l’une des avocats de Tran To Nga, conteste. « Ces sociétés ont répondu à des appels d'offres, elles avaient la possibilité de le faire ou non », a-t-elle souligné lors d’une conférence de presse qui s’est tenue dans les locaux de l’Union Générale des Vietnamiens de France à Paris le 11 mai. Selon elle, cet argument repose sur une vision du droit internationale « obsolète ». Et André Bouny, auteur de L’agent orange : Apocalypse Viêt Nam (2010) d’ajouter : « Le gouvernement américain n’a jamais demandé à ce qu’il y ait de la dioxine à cette teneur : c’est une faute industrielle ».
Une nouvelle bataille
Pour Tran To Nga, c’est une nouvelle page du combat qui s’ouvre. « Je suis déçue et même en colère, mais je ne suis pas triste parce que je m’y attendais un peu », a-t-elle déclaré au lendemain du rejet de sa plainte, confirmant qu’elle allait faire appel de cette décision et qu’elle irait « jusqu’au bout ». Sa voix est calme, elle apparaît même souriante et surtout déterminée. En 2014, elle était seule ou presque. Aujourd’hui, elle compte des milliers de soutiens à travers le monde.
« De toute façon, nous avons gagné, parce que pendant ces six années, je suis arrivée à faire resurgir du passé le drame de l’agent orange. »
En attendant, une marche contre Monsanto est prévue le samedi 15 mai dans plusieurs villes françaises. À Paris, la militante franco-vietnamienne sera en tête de cortège. De la guerre du Vietnam à nos jours en passant par le scandale du chlordécone en Martinique et en Guadeloupe, les manifestants réclameront « justice et réparations pour les nombreuses victimes des multinationales agrochimiques ».