D’où vous vient cette envie d’écrire un film sur les communautés asiatiques ?
C’est venu d’un constat, il y a plus de 6 ans. En tant que comédien asiatique, on ne me proposait que des rôles clichés : serveur dans un restaurant, karatéka, informaticien ou clandestin. Je me suis dit que si je ne me créais pas moi-même un rôle, une histoire, je n’allais faire que ça. J’ai remarqué que les dix plus gros succès du box office français sont des comédies. Comme j’avais fait le Jamel Comedy Club, autant utiliser cela. J’ai commencé alors à écrire un synopsis de quelques pages et je suis allé démarcher des productions. Après l’envoi d’une dizaine de mails, huit d’entre elles m’ont reçu et cinq voulaient acheter le projet.
C’était bien avant la sortie de Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ? Les productions vous ont fait confiance avant ce succès ?
L’idée leur a plu et j’avais une arme secrète... La mise en lumière d’une communauté qu’on ne connaissait pas a fait tilt. À la fin de mon rendez-vous avec Pathé, j’ai déclaré que j’aimerais que les Asiatiques de France aient leur référence, que ce million de Français se reconnaisse. Le producteur Jérôme Seydoux m’a regardé et répondu « Vous êtes un million ? » Il s’est tourné
vers les deux autres producteurs et leur a lancé « On va lui signer un contrat ». Le projet est parti ensuite chez Montauk Films et Ripley Films.
« Jérôme Seydoux m’a regardé et répondu : Vous êtes un million ? »
À ce moment là, à quoi ressemblait le projet ?
C’était juste un synopsis. Nous étions partis sur une histoire qui n’avait rien à voir avec celle qu’on a tournée. Il y a eu plein de versions, mais avec un même fil conducteur : la mise en lumière de la communauté asiatique. La première version était gaguesque ; les scénarios ont changé de nombreuses fois. Il y a même eu un moment où nous avions une version écrite scénarisée prête à partir en financement. Mais finalement nous sommes repartis à zéro car mes producteurs avaient une vision bien claire de ce qu’ils attendaient; ils voyaient un film qui touche les gens.
Comment s’est passée cette phase d’écriture, qui a été très longue ?
J’ai écris avec Kamel Guemra durant trois ou quatre ans. Il n’aime pas que je dise ça, mais c’est un scénariste « structurateur ». Il m’a appris beaucoup de choses. Moi j’ai apporté mes idées, mes dialogues. Ensuite nous avons cherché un réalisateur, et j’avais prévenu la production que je n’aimais pas les embrouilles. Sur un plateau de cinéma, s’il y a deux tempéraments forts, rien de positif n’en ressort. Julian Abraham est arrivé après avoir réalisé La cité rose. Il avait la fibre du social et reste toujours calme face aux problèmes. Il a intégré le pôle d’auteurs et nous avons travaillé tous les trois. Après avoir trouvé rapidement un distributeur : TF1 Studio, nous avons démarché les chaînes : Canal+, France 2, France 3... Nous n’avons essuyé que des refus. Les chaînes ne voyaient pas le film et se demandaient ce qu’on en avait à foutre de la communauté asiatique. J’ai entendu ça ! Alors qu’il ne s’agit ni d’un film destiné à la communauté asiatique exclusivement, ni d’un film communautaire, en aucun cas ! Les thématiques que j’aborde sont universelles : la paternité, la transmission, le fait d’être Français avec une origine...
Pouvez-vous nous parler de François, le personnage que vous interprétez ?
François est un jeune homme qui a fait des études d’ingénieur, cursus classique d’une famille asiatique où les parents poussent leurs enfants vers l’excellence ; à être avocat, médecin ou ingénieur parce qu’ils sont de la première génération et ont tellement souffert qu’ils mettent une pression incroyable sur la deuxième génération. François a grandi dans ce contexte mais s’intéresse à la photo et le cache à ses parents. Un jour, il reçoit une lettre de la plus grosse école de photo de France et son père ouvre la lettre, lui disant : « De mon vivant, tu n’entreras jamais dans cette école ».
« Il ne s’agit ni d’un film pour la communauté asiatique exclusivement, ni d’un film communautaire. Les thématiques que j’aborde sont universelles : la paternité, la transmission, le fait d’être Français avec une origine... »
Le personnage de François rejette également ses origines. Pourquoi ?
Je dis souvent que lorsqu’on est physiquement différent, tous les jours on est identifié à cette différence. François en a marre et rejette tout ça. Sauf qu’un jour, sa femme Sophie lui annonce qu’il va être papa et il va s’en trouver complètement chamboulé. Il se demande ce que va être la paternité, s’il va inculquer de bonnes valeurs à son enfant, etc. Sophie va l’inciter à retourner dans le 13e. Ce come back est un prétexte pour que les spectateurs découvrent ce qu’est vraiment la communauté asiatique. Il sera accompagné de son meilleur ami Bruno, interprété par Medi Sadoun, qui idolâtre les Asiatiques. Quand j’ai écrit ce personnage, j’ai pensé à des copains à moi, fans des communautés asiatiques ! Je me suis inspiré de Spike dans Coup de foudre à Notting Hill. Il est fou mais bienveillant. Bruno, lui, veut absolument devenir ami avec François en se disant « S’il a une sœur, elle doit être canon » !
L’idée était de montrer les temps forts vécus par la communauté asiatique : le mariage, avec l’échange des enveloppes, les temples, se recueillir auprès des aînés et Chinatown. Pour moi c’était un rendez-vous dominical lors duquel nous mangions et faisions nos courses car nous achetions des trucs qu’il n’y avait pas à Carrefour à l’époque. Et bien évidemment casser tous les clichés. Ce n’est pas un film pour « nous », mais pour éduquer les gens. J’ai eu la même démarche avec mon bouquin [Je viens de loin, éditions Philippe Rey, ndlr]. Certaines personnes m’ont confié après l’avoir lu : « Lorsque je marche dans la rue et que je croise un Asiatique je me pose des questions. D’où il vient, quelle est son histoire ? » C’est génial d’entendre que cette personne n’est pas là à se demander « Est-ce qu’il mange du chien, est-il serveur ou informaticien ? »
Comment s’est déroulé le casting ? Vous avez recruté de nombreux acteurs
asiatiques.
Pour le personnage de Bruno, Medi Sadoun était une évidence, je lui ai proposé le rôle tout de suite. Il a grandi dans le 13e, dans sa classe il n’y avait que des Asiatiques, il a vécu tout ce qu’on aborde, il en connaissait les subtilités. Julie de Bonnat s’est quant à elle battue pour avoir le rôle de Sophie, la femme de François. Elle m’a rencontré à plusieurs reprises, elle a dit à tout le monde qu’elle avait adoré le scénario, et en plus elle a des origines asiatiques. Ensuite il a fallu trouver Lisa [jouée par Mylène Jampanoï, ndlr], une amie de la famille, eurasienne. C’était intéressant d’évoquer le fait d’être eurasien. Pour Meng, le père de François, ça n’a pas été évident car nous cherchions de la densité, un mec qui sait jouer la distance, la dureté, la froideur. Nous avons rencontré Bing Yin, un homme qui en impose et un vrai acteur qui a fait des écoles de théâtre en Chine et ne pouvait pas exercer la formation qu’il a reçue. Lorsqu’il a su qu’il était pris il m’a appelé pour me remercier de lui donner un vrai rôle, avec du jeu.
Ça n’a pas été difficile de trouver des comédiens d’origine asiatique. Celle qui joue tante Fa, Li Ling, a fait le conservatoire à Pékin et est devenue prof de chinois en arrivant en France. Steve Tran joue également un rôle dans le film ; quelqu’un dans le business qui a trois restaurants et exporte du made in France en Chine. Il était intéressant de montrer différentes facettes de la communauté asiatique et les différentes générations.
La fiction et la réalité se croisent. Vous parlez par exemple de paternité, alors que votre fille est née quelques mois avant le tournage.
Effectivement. Je dirais que le film reflète la réalité à 90%. Le temple où on a tourné est le temple où je prie. J’y vais depuis que je suis en primaire. D’autre part, souvent en interview on me demandait ce qu’on pouvait me souhaiter pour la suite et je répondais « la paternité ». Pour moi c’est la suite logique des choses. On peut avoir tous les succès qu’on veut, tout l’argent qu’on veut, sans transmission ni partage tout ceci n’a pas de saveur. Je connais des gens qui ont tout et rentrent chez eux, coincés entre quatre murs, dans leur solitude. Aujourd’hui, j’ai trouvé ce bonheur là et c’est vrai que le film est tiré de ma vie. J’ai vécu le rejet de mes origines, le regard des gens. Cependant je veux dire aux personnes qui ont vécu la même chose que la vérité survient lorsqu’on est en paix avec ses origines. Lorsque j’assume ma double identité, je suis intouchable.
Vous avez réalisé un court-métrage : Un pas vers elle. Avez-vous envisagé de passer derrière la caméra pour un long métrage ?
On me l’a proposé au tout début pour Made in China, mais à l’époque je ne savais pas le faire. Je suis impressionné par les personnes qui arrivent à tout faire : jouer, écrire, réaliser. Je suis tellement dur avec moi même que si j’étais réalisateur je referais la scène vingt-cinq fois sans être satisfait à la fin. Je me poserai peut être la question sur un autre projet.
Arrivez-vous quand même à regarder les films dans lesquels vous avez joué ?
Je suis obligé de les voir en promo, lors des projections, mais après je ne les regarde plus. Sur le set je regardais parfois le « combo ». Comme c’était mon bébé je voulais être sûr, mais sinon j’évite.
« Je ne cherche pas à être un porte drapeau. Je ne peux pas dire aux gens ce qu’ils doivent faire. Ce que je fais n’engage que moi »
Il y a un an vous avez participé au clip Asiatiques de France, qui a fait plus d’un million de vues sur les réseaux sociaux. Quelle est votre position par rapport à ce militantisme pour une reconnaissance plus importante des Asiatiques dans la société française ?
Je ressens une attention plus importante. Personnellement, je m’écoute énormément. Si ma petite voix intérieure me dit « il faut que t’y ailles », j’y vais, comme pour Zhang Chaolin où j’ai fait un petit spot TV. Je ne cherche pas à être un porte drapeau car mes choix de vie sont animés par une même question : est-ce que ça me rendra heureux de faire ça ? Je ne peux pas dire aux gens ce qu’ils doivent faire. Ce que je fais n’engage que moi.
Êtes-vous préparé aux critiques qui pourront trouver le film communautaire ?
Un jour, j’ai revu un producteur qui prenait de mes nouvelles. Il m’a demandé ce que je faisais et je lui ai répondu que je venais de finir le scénario de mon film, Made in China, pour mettre en lumière la communauté asiatique. Sa réponse : « Ah maintenant vous faîtes des films entre Asiats ? ». Et vous alors, vous ne faîtes des films qu’entre vous ? Jamel Debbouze a fait Indigènes, ce n’était pas un film communautaire. Je suis tributaire de mon profil et je ne suis pas là pour faire un « coup ». J’ai le sentiment d’avoir fait un film avec du fond et de la sincérité. J’espère que les gens vont se marrer en le regardant, car la comédie est un bon moyen de parler de choses un peu « touchy ».
En parlant de comédie, quel est votre regard sur le sketch de Gad Elmaleh et Kev Adams, très mal accueilli par des nombreux Asiatiques en France ?
Je les connais un petit peu et je sais qu’ils ne sont pas racistes. Il s’agit de maladresse, que chacun peut avoir un jour, sauf qu’eux ont une aura qui va au-delà de la nôtre. J’imagine qu’ils ne pensaient pas à mal. Forcement, si personne ne leur dit qu’on ne doit pas faire ces choses là, ils continuent à le faire. Cela me fait dire que notre communauté doit être un peu plus soudée, avec des lobbyings plus forts.
A lire dans le numéro 4, mars-avril 2018.