Rendue célèbre par son roman Riz noir en 2004, Anna Moï séduit avec des textes empreints de poésie, d’humour et de délicatesse. Comme elle, ceux-ci se situent toujours quelque part entre le Vietnam, sa terre natale, et la France, son pays d’adoption. Avec Douze palais de mémoire, paru le 4 février, elle signe un nouveau roman doux-amer sur la traversée en mer d’un père et de sa fille fuyant le communisme pour rejoindre les États-Unis. Portrait d’une romancière au parcours atypique, qui a notamment été styliste et s’est prise de passion pour le chant lyrique.
[Texte : Sophie Kloetzli — Photos : Pierre Gautheron]
C'est bientôt l’hiver et Anna Moï profite du calme de la campagne corrézienne où elle s’est confinée avec son mari et sa chienne. La maison de vacances en pierres rouges, le paysage environnant baignant dans une lumière froide, les cuves où elle fait de la gnôle... Aussi charmant que rustique, le décor local met en valeur l’élégance simple qu’elle dégage : rouge à lèvres, yeux sombres agrémentés d’un trait d’eye-liner noir discret, visage aux traits fins, vêtements sobres d’un designer japonais. « C’est un lieu où je viens quand j’ai besoin de solitude pour écrire », explique-t-elle. Très vite, son apparente légèreté et son rire s’imposent à nous, à l’image de ses textes qui contiennent toujours une part d’inattendu voire de décalé. Malgré sa dimension tragique, son nouveau roman, Douze palais de mémoire, ne déroge pas à cette règle. Cette épopée d’un père et de sa fillette fuyant le communisme à bord d’un bateau de pêche oscille entre la violence d’un côté, la candeur et l’espièglerie de l’autre. « J’introduis toujours une part d’humour et de poésie, qui sont un peu la m.me chose, commente la romancière avant de rectifier : je veux dire, il s’agit de la même démarche, de faire un pas de côté. »
« Vous savez, il est difficile de parler de l’enfance parce qu’il y a ce que l'on a réellement vécu, et puis il y a le fantasme, surtout quand on est en exil »
Une mise à distance qui lui permet également de « juxtaposer les strates », pour reprendre ses mots, soit les drames personnels à la grande Histoire. Celle du Vietnam imprègne un grand nombre de ses écrits. La sienne aussi, bien que le récit de sa jeunesse se brouille rapidement. « Vous savez, il est difficile de parler de l’enfance parce qu’il y a ce que l'on a réellement vécu, et puis il y a le fantasme, surtout quand on est en exil, souffle-t-elle. J’ai une fascination pour la mémoire, que l’on nourrit généralement avec des photos et des images. Moi, je suis partie de mon pays sans rien — et mes parents sont partis en catastrophe peu après, en 1975 [année de la prise de Saïgon par les forces communistes, NDLR] — donc je n’avais pas d’autres souvenirs que ceux que j’avais dans la tête ». Cette obsession pour le passé qui s’enfuit irrémédiablement, elle la partage avec le héros de son nouveau roman qui se réfugie dans ses « palais de mémoire » (une méthode mnémotechnique basée sur des univers mentaux organisés dans un ordre particulier) pour préserver le souvenir de son épouse disparue.
Cet article est à lire en version intégrale dans Koï #20, disponible en ligne ou en kiosque.