Les cuisines asiatiques se mettent au made in France

Par Elisa Nguyen Phung

Consciente de la question écologique que pose l’importation de certains produits asiatiques, une niche d'artisans s’est lancée sur le sol français dans la préparation de nước mắm, miso, tofu et autres incontournables des cuisines d’Asie de l’Est.

Installé à Arles depuis 2012, le Japonais Rairetsu Jinno est l’un des premiers à avoir entrepris de cultiver des légumes nippons sur le sol français. Trois ans plus tard, la maraîchère Anna Shoji, basée à Ligueil, lui emboîtait le pas, suivie par le jeune Masato Fujisaki (en photo à la Une) et une poignée d’autres paysans disséminés à travers le pays. Grâce à eux, l’on peut aujourd'hui trouver pakchoï, mizuna et chrysanthèmes comestibles sur les étals de certains marchés bio.

 

Le maraîcher Raitetsu Jinno, lors d'une vente au marché.
Photo : Allison Petillot

 

Sur ceux de son épicerie en ligne Kin, Allison Petillot propose à la vente des paniers de ces légumes rares. « J’ai décidé de créer un e-shop consacré à la vente de produits asiatiques faits en France pour prouver qu’il n’est pas nécessaire de dévaliser les grands magasins spécialisés dans l’import pour préparer une cuisine asiatique qui ait du goût », détaille la trentenaire, par ailleurs bénévole depuis vingt ans pour l’association Ici Vietnam – elle vient notamment d’organiser la quatrième édition du Viet Food Market.

Nước mắm, miso et tofu locaux

En plus de ces légumes, la trentenaire commercialise des produits asiatiques artisanaux bio et made in France. Le fruit d’une quête qui l’a menée aux quatre coins du pays, à commencer par les bords de Loire, auprès du pêcheur Thierry Bouvet. S’il n’est pas originaire d’Asie, l’homme s’est pris de passion pour la sauce de poisson. « Comme je ne suis pas très adroit avec les filets, il me fallait trouver un moyen de valoriser mes carcasses », détaille l’intéressé. Au fil de ses recherches, l’homme découvre le garum, un équivalent du nước mắm dorigine romaine tombé aux oubliettes.

 


Thierry Bouvet démaille la carpe avec laquelle il réalise le Garum de Tours.
Photo : Rachel Hermann

 

Voilà qu’il se lance alors dans le Garum De Tours (disponible sur son site internet ainsi que sur l’épicerie en ligne Kin), une sauce à base de poissons saumurés dont il a notamment partagé le secret avec Tang Han Ly, une Vietnamienne installée dans le sud de la France. « Elle le fait à partir d’anchois tandis que je n’utilise que des poissons que je trouve dans la Loire comme les carpes ou les barbots », conclut Thierry Bouvet.

Comme lui et comme le maraîcher nippon Masato Fujisaki, Takayoshi Hirai a choisi le territoire ligérien pour lancer son small business de miso, shoyu et koji. Las de ne trouver en supermarché que des miso « médiocres », cet ancien professeur de mathématiques a mis sur pied un petit laboratoire improvisé au fin fond de l’Indre-et-Loire. D’abord limitée au miso classique, sa gamme s’est ensuite diversifiée pour désormais compter sauce soja, koji, mais aussi miso de pois chiches, lentilles ou encore haricots blancs. Autant de produits composés exclusivement d’ingrédients locaux eux aussi – sel de Guérande, riz de Camargue et soja de Touraine – et vendus sur son site internet Sanga et via le e-shop Kin.

 


Préparation du miso "made in France" par l'entreprise Sanga

 

Des initiatives à la marge

À plusieurs centaines de kilomètres de là, dans l’Est parisien, Jérôme Gang a lui aussi fait du soja son fonds de commerce. Le Shanghaïen prépare chaque semaine des dizaines de kilos de tofu français dont il vend une partie (notamment via l’épicerie Kin et le réseau de circuit court La Ruche qui dit Oui !) et propose le reste à la dégustation dans la salle à manger de Toutofu (11e arr.), son restaurant végane spécialisé – comme son nom l’indique – dans le tofu made in France depuis 2015.

 

Sauce soja française à retrouver sur l'e-shop Kin.
Photo : Aurore Nguyen.

 

Si leur progrès est notable depuis une dizaine d’années, ces initiatives restent à la marge. D’ailleurs, aucune trace de ce tofu ni de ses congénères locaux dans les rayons des géants de l’import. À ce jour, seules certaines épiceries bio s’y intéressent, comme le e-shop Kin ou encore la Biocoop qui commercialise notamment un nato fabriqué artisanalement à Draguignan (Var) par Laurent Vilatte, ancien professeur de français au Japon. « Je m’y suis mis en 1998 alors que personne ici n’en avait entendu parler », se souvient l’intéressé. Aujourd’hui, il en vend environ 300 grammes par semaine, par le biais de son site internet Natto du dragon. Un succès d’estime qui s’apprécie au-delà des chiffres : « ma clientèle japonaise s’étoffe de jour en jour », s’enthousiasme-t-il. Et quelle meilleure preuve de qualité ?


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