Diên Biên Phu, 70 ans après : « Pour moi, c'est une victoire »

Par Rémi-Kenzo Pagès

Il y a 70 ans, les combats faisaient rage à Diên Biên Phu. Dans la communauté vietnamienne de Paris, les anciens n'ont rien oublié. Nhu-Mai Nguyen Dac était lycéenne en 1954. Elle raconte la société qu'elle a connue.

85 ans mais une énergie débordante. La dynamique Nhu-Mai Nguyen Dac est un pilier de la communauté vietnamienne à Paris et n'a pas de temps à perdre. Elle accepte un entretien pour évoquer ses souvenirs de la fin de la guerre d'Indochine, mais difficile de se poser avec cette octogénaire très active car sa priorité est ailleurs. Elle attend une délégation vietnamienne pour le procès de sa compatriote Tran To Nga, qui se tient le 7 mai, jour anniversaire de la fin des combats à Diên Biên Phu. Tout un symbole pour Nhu-Mai Nguyen Dac entre cette journée du 7 mai 1954 qui marque la fin de la bataille la plus célèbre de la guerre d'Indochine, et les mobilisations actuelles des collectifs vietnamiens.

 

Nhu-Mai Nguyen Dac, en 1954, au Vietnam. 

 

Où étiez-vous juste avant la fin de la colonisation française au Vietnam ?

J'étais lycéenne [à Saïgon]. En 1954, les jeunes, nous voulions que le Vietnam soit rendu aux Vietnamiens, nous ne voulions pas d'ingérence extérieure. La terre appartient au pays et à ceux qui la cultivent. Nous faisions des réunions de lycéens dans la cour pour nous informer sur la guerre. C'était important qu'on se réunisse. On souhaitait la paix, pour un pays libre. À la fin de la guerre, nous avons respiré. 

 

« Je rêvais de la fin de la guerre et du retour à la vie normale. »



Quel était votre quotidien lors de la bataille de Diên Biên Phu ?

Les lycéens se passaient les consignes de sécurité, personne ne s’attardait après le travail, les enfants devaient retrouver les parents dès la fin de l’école et surtout, on ne sortait jamais seuls le soir. Il y avait beaucoup d’insécurité. Avec les camarades de mon lycée, on s’entraidait pour se ravitailler : les vivres et les produits de première nécessité comme le riz, le sucre et le lait étaient très chers et se vendaient au marché noir. Les magasins étaient ouverts mais les produits essentiels étaient restreints. Ils étaient vendus selon le nombre de personnes par famille. On ne mangeait pas trois repas par jour, mais je n’avais pas faim. Pour aller au lycée, je devais faire 20 kilomètres à pied, aller-retour. Les professeurs s’absentaient souvent et les examens de fin d’année ont été reportés. Je rêvais de la fin de la guerre et du retour à la vie normale.

Vous souvenez-vous précisément de la journée du 7 mai 1954?

Lorsque la radio vietnamienne a annoncé la défaite des troupes françaises, les foules sont entrées en liesse dans les rues, mais je ne suis pas allée défiler pour rester avec ma mère qui était souffrante ce jour-là

 

« Aujourd'hui, quand on parle de Diên Biên Phu, les Français parlent pour les Français et les Vietnamiens parlent pour les Vietnamiens. Chacun parle de son combat. »

 

Et comment avez-vous vécu cet événement ?

Diên Bien Phu a été pour nous quelque chose de très positif puisque c'était la fin de la guerre, le départ des colons. Après cela, nous avons pu parler librement, ne pas avoir peur des uns et des autres. Mais la fin de la guerre n'a pas apporté tout ce que j'espérais. Aujourd'hui, quand on parle de Diên Biên Phu, les Français parlent pour les Français et les Vietnamiens parlent pour les Vietnamiens. Chacun parle de son combat.

 

Nhu-Mai Nguyen Dac devant son lycée à Saïgon, en 1955. 

 

Que représente cette bataille pour vous ?

Diên Biên Phu a été un réconfort puisque la guerre s'est terminée. On a pu vivre normalement. Les guérilleros ont vaincu les Français et ont mis fin à la colonisation. Pour moi, c'est une victoire. Mais les Vietnamiens ont beaucoup souffert de la guerre. On a souffert de maladies, il n'y avait pas de médicaments. J'ai deux frères qui sont morts du choléra. Et puis l'histoire ne s'arrête pas là. Il y a encore eu la guerre [du Vietnam contre les Américains]. Le pays était séparé en deux. Aujourd'hui encore, on doit se battre pour la justice. Donc cette histoire n'est pas terminée. Par exemple, le 7 mai est aussi la date du procès en appel de Tran To Nga [qui se bat contre les entreprises américaines qui ont fabriqué l'agent orange]. On veut la justice, la paix et les réparations. Les Vietnamiens de France continuent à se battre pour ça.


Article précédent Article suivant

Récents