Coupés de leur religion et de leur langue en Chine, les Ouïghours font (sur)vivre leur culture à l’étranger. À Paris, des cours pour les enfants assurent la relève, et la communauté peut renouer avec son identité, plus proche de la Turquie que de l’empire du Milieu.
Dans une salle de classe, quelques fillettes remuent les bras et le haut du corps en rythme, les yeux rivés sur la maîtresse, dont elles tâchent d’imiter les mouvements. Les leurs sont parfois timides et désordonnés, mais elles s’appliquent, portées par les sonorités orientales qui emplissent les lieux — de la pop ouïghoure, nous précise Thomas*, un doctorant qui anime les cours de culture et de langue destinés aux enfants de cette communauté turcophone venue de la région autonome du Xinjiang, au nord-ouest de la Chine, où elle est aujourd’hui persécutée. Sa particularité : la pratique de l’islam (sunnite), largement majoritaire au sein de cette ethnie, mais minoritaire dans le pays.
Sa particularité : la pratique de l’islam (sunnite), largement majoritaire au sein de cette ethnie, mais minoritaire dans le pays.
Assis sur une chaise à côté, deux garçons observent, papotent et échangent des blagues ; ce sera bientôt leur tour de rejoindre la danse. Et pas n’importe laquelle : en ce samedi de février, les enfants préparent leur spectacle en vue de Norouz, une fête traditionnelle célébrée le 21 mars en Iran, en Turquie et en Asie centrale pour marquer le début du printemps. « C’est l’occasion pour les Ouïghours de France de se rencontrer. C’est aussi un peu l’équivalent d’une kermesse, où les parents peuvent voir les progrès qu’ont faits leurs enfants », indique-t-il.
Répartis dans deux classes d’une dizaine d’élèves tout au plus, les plus petits (moins de cinq ans) répètent à voix haute le nom de fruits correspondant aux images qu’une prof fait défiler sur son Smartphone, tandis que les grands (six à dix ans), plus studieux, exercent leur écriture en recopiant dans leur cahier les caractères arabes qui s’affichent sur le tableau. Pendant ces deux heures de cours, pas un mot de français : seule leur langue maternelle est autorisée. « On leur apprend aussi les expressions du quotidien, la manière dont ils doivent s’adresser aux autres, comment on sert le thé, ou encore comment tenir les instruments de musique traditionnelle », ajoute ce jeune prof volontiers joueur et complice avec les écoliers.
SAUVEGARDER LA CULTURE
Derrière ces moments de jeu et d’étude, une urgence : perpétuer la culture ouïghoure à l’extérieur des frontières chinoises, où elle est aujourd’hui en danger. C’est ce dont nous discutons avec la sociologue Dilnur Reyhan avant de rejoindre les élèves, qu’elle confie aux enseignantes après quelques étreintes affectueuses. Cela fait déjà trois ans que cette professeure de ouïghour à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco) a initié ces cours du week- end à Paris. « Le but est de créer un environnement où les élèves peuvent pratiquer la langue et multiplier les rencontres avec les autres enfants », souligne Waris Janbaz, en charge des cours organisés le lendemain au Centre culturel Anatolie, où une trentaine d’enfants ouïghours se rend tous les dimanches. Avant d’admettre « qu’entre eux, ils ont tendance à parler plutôt en français ». « À la maison, nous essayons, ma femme et moi, de parler le plus possible en ouïghour. Nos filles comprennent la langue, mais la plupart du temps, elles préfèrent répondre en français », abonde Balati, un père croisé dans les couloirs pendant les cours. Entre intégration dans le pays d’accueil et sauvegarde de la culture d’origine, la tâche n’est pas toujours aisée pour ces parents trentenaires. Arrivés dans le courant des années 2000 avec un visa étudiant, ils constituent aujourd’hui le gros de la communauté ouïghoure dans l’Hexagone, estimée à mille individus (ce qui inclut un certain nombre de réfugiés venus un peu plus tard, pour des raisons politiques).
Derrière ces moments de jeu et d’étude, une urgence : perpétuer la culture ouïghoure à l’extérieur des frontières chinoises
La suite de cet article est à lire dans notre numéro 16
[Texte : Sophie Kloetzli - Photos : Thomas Morel-Fort]